Du côté de chez Jachri : "Un livre de martyrs américains" de Joyce Carol Oates
Le martyr est celui qui meurt pour une cause. Plus même, "Le martyre parfait est suicidaire", dit un des personnages de Joyce Carol Oates.
Dans ce roman, l’auteure pose cette question : y a-t-il une cause qui vaille qu’on meurt pour elle ?
Elle s’attache à l’illustrer, non pas d’y répondre, en nous plongeant au coeur de ces deux groupes de pression qui s’opposent violemment aux Etats-Unis sur l’avortement, les fondamentalistes religieux et les rationalistes attachés aux libertés des femmes, et en particulier les plus pauvres.
"Il y a une guerre aux Etats-Unis, cette guerre est là depuis toujours. Les rationalistes parmi nous ne peuvent l’emporter, car le penchant américain pour l’irrationalité est plus fort, plus primordial et plus virulent."
En 1999, Luther Dunphy, charpentier, américain moyen, qui s’érige en "soldat du Christ" décide de tuer le "meurtrier avorteur" et "tueur d’enfants" Gus Voorhees, obstétricien activiste militant pour le droit des femmes. L’accompagnateur Timothy Barron de Voorhees est également tué mais comme un "dommage collatéral" et Dunphy ne voudra jamais reconnaître ce meurtre.
Les familles de chacun de ces hommes seront également des "dommages collatéraux" créant des "maladies auto-immunes", comme diront les enfants de Voorhees.
L’auteure s’attache à nous raconter les histoires de ces deux "martyrs", tout deux excessifs dans leurs causes respectives, en fait, et ainsi renvoyés dos à dos, en plongeant dans leurs vies et leurs failles. Et elle donne la parole à leurs enfants, en particulier leurs filles, Dawn Dunphy et Naomi Voorhees. Leur milieu n’est pas le même mais elles sont ravagées par la même souffrance. Et bien sûr, elle nous expose le procès de Dunphy. Le tout sur une dizaine d’années.
Par un savant jeu d’écriture, à la troisième ou à la première personne, elle donne du volume au "dossier", laissant la parole à chacun pour exposer les arguments, incluant même des témoignages d’autres protagonistes pour éclairer le lecteur, avec le plus possible d’objectivité et sans jugement.
Et c’est une fresque époustouflante !
Elle tient en haleine le lecteur au fil de ces 860 pages jusqu’à la scène finale totalement inattendue.
C’est du grand Joyce Carol Oates ! Un grand moment de confinement…