Luchon : Claude Haffner commente l'avis de la Chambre Régionale des Comptes Occitanie (budget 2023)
Claude Haffner, que les lectrices et lecteurs de mon blog connaissent bien, vient de m'adresser quelques commentaires sur l'avis émis le 31 juillet 2023, par la Chambre Régionale des Comptes Occitanie (CRCO) retoquant le budget principal de la commune de Bagnères-de-Luchon.
Je les publie ci-après.
Pour rappel, hier (jeudi 3 août) s'est déroulé un conseil municipal en urgence suite au rapport rendu par la Chambre Régionale des Comptes. Une CRCO qui avait été saisie par le préfet de la Haute-Garonne, après le vote du budget 2023 de la ville (lire ici). Un budget qui a été la cause de la démission du maire Eric Azémar et de plusieurs conseillers municipaux et de l'organisation de nouvelles élections municipales le 25 juin dernier. Des élections remportées au premier tour par la liste menée par Eric Azémar.
Commentaires :
On va s'en tenir aux grandes lignes, et ne pas entrer dans le détail de tous les chiffres afin de ne pas rebuter le lecteur.
Les finances de la Ville de Luchon ne sont pas brillantes depuis plusieurs années, les piscines municipales, l'état des bâtiments publics en sont les témoins entre autres. A cet état de fait s'est rajouté l'épisode du COVID et la privatisation de l'exploitation des Thermes.
En effet pendant le COVID, les Thermes ont été privés de recettes, par contre les charges fixes (remboursement d'emprunts, salaires, etc.) ont continué de courir. Résultat, un déficit de 3 millions d'euros que l'Etat permet d'amortir sur 5 ans à partir de 2023, soit 600 000 euros par an à financer sur le budget principal.
On notera que lors de la dernière campagne électorale, suite à la démission du maire sortant, aucune liste ne s'est appesantie sur cette charge nouvelle qui allait grever le budget principal pour 5 ans ; il vaut mieux faire des promesses réjouissantes, c'est électoralement plus porteur.
Le Maire en fonction en 2022, qui n'ignorait pas ce problème, aurait dû être prudent en évitant d'engager des dépenses de prestiges, telle la venue d'un Prince à Luchon.
En 2023, à cette charge s'en rajoute une autre de 200 000 € environ, pour laquelle j'avais mis en garde le candidat au poste de Maire. Il était évident que les employés des Thermes titulaires de la Fonction Publique Territoriale n'abandonneraient jamais leur statut. Aujourd'hui c'est au budget principal de la Commune et non à celui des Thermes, de supporter cette charge salariale, sans recettes supplémentaires bien évidemment.
Le résultat des courses est que le budget 2023 se voit affecté d'une charge nouvelle de 800 000 €. On en revient à la situation d'avant 2019 où le budget principal devait supporter le déficit de Superbagnères (SIGAS) pour un montant légèrement inférieur. La précédente municipalité a eu recours à tous les artifices pour masquer les difficultés budgétaires, mais l'actuelle vient de la surpasser.
Ici on est obligé de rentrer dans les techniques budgétaires pour bien comprendre les arguments de la CRCO.
En début d'année le Conseil Municipal vote un Budget Primitif (BP) qui n'est qu'une prévision, lequel doit être voté en équilibre réel, c'est-à-dire que les recettes et dépenses doivent être évaluées de façon sincère. En fin d'exercice toutes les opérations comptables sont centralisées dans un document appelé Compte Administratif (CA) qui résume et retrace l'exécution de l'exercice budgétaire. Au contraire du BP, le CA peut présenter un excédent ou un déficit.
Pour se procurer des ressources d'investissement on vend des bijoux de famille, c'est-à-dire des terrains, des immeubles, etc., qui sont la propriété privée de la Commune. Cela permet de diminuer le virement de section, ce qui donne de l'aisance à la section de fonctionnement.
C'est ce que l'on appelle les cessions d’immobilisations qui font référence à l’instruction budgétaire et comptable rénovée M14, laquelle sera en vigueur jusqu'à fin 2023.
En 2024 avec la mise en œuvre de la M57, la CRCO ne va pas chômer. Au BP, la prévision des cessions d’immobilisations se fait grâce à la ligne budgétaire 024 (produits des cessions) en recette d’investissement. On ne prévoit que les montants de cessions estimés sans plus-value ou moins-value. C’est un chapitre sans exécution comme tous les chapitres codifiés 02x, la sortie du bien sera constatée au CA.
L'illustration ci-dessous montre l'inscription au BP de la prévision de la vente de biens inscrits à l'actif.
L'illustration ci-dessous montre les écritures à passer pour la vente d'un bien avec plus-value par rapport à la valeur inscrite au bilan. Elles apparaissent uniquement sur le CA.
Bien que ce BP présente des inscriptions manifestement insincères, il est à remarquer que la CRCO, contrairement à son usage habituel, n'emploie à aucun moment le terme d'insincérité. En effet, car ici il s'agit d'amateurisme budgétaire, au sens péjoratif du terme, car on ne soupçonnera pas le premier magistrat de la Commune de tripatouillage budgétaire.
La CRCO dans son avis écrit :
{Sur l'inscription de recettes non justifiées au projet de budget principal
24. S'agissant de la section de fonctionnement, la chambre observe l'inscription injustifiée d'une recette de fonctionnement de 1 106 000 € en crédit du chapitre 77. Cette inscription de recette, qui provient des cessions d'immobilisations prévues, étant déjà inscrite au chapitre 024, est contraire aux termes de la norme budgétaire M14, qui dispose en son titre premier, chapitre 3, que le "chapitre 024 'Produits de cessions d'immobilisations' ne donne pas[. . .] lieu à émission de titres et de mandats. Cette ligne a pour objet de prévoir au budget les produits des cessions d'immobilisations en recettes de la section d'investissement. L'exécution est quant à elle constatée aux articles où se trouvait l'immobilisation cédée (par exemple 21) et sur les articles 192, 675, 775, 676 et 776 dédiés aux opérations de cessions."
25. L'inscription irrégulière du montant susmentionné au crédit du compte 775 emporte ainsi une surestimation des recettes en section de fonctionnement à hauteur du même montant.
26. Il s'ensuit que le projet de budget 2023 de la commune de Luchon n'a pas été adopté en équilibre réel.}
En clair, le Budget Primitif adopté compte deux fois la recette que procurerait la vente hypothétique des biens communaux envisagés : amateurisme le plus total.
Après d'autres remarques que l'on passera sous silence, notamment le détail du déséquilibre du budget principal, lequel se monte à presque 2 millions d'euros, la CRCO propose une augmentation de la fiscalité locale.
Elle fera passer le taux de la Taxe Foncière sur les propriétés bâties de 51,30 % à 54,50 % soit une augmentation de 6,24%.
On notera que pour le portefeuille du contribuable l'augmentation en pourcentage sera bien supérieure, de l'ordre de 13,7% du fait de l'augmentation de 7,1% en 2023 de l'assiette ('Base' sur votre avis d'impôts) due à l'inflation.
Si vous n'êtes pas mensualisé, le montant de la Taxe Foncière vous sera notifié en novembre ou décembre, au lieu de fin août ou début septembre, du fait du vote tardif du BP ; si vous êtes mensualisé vous aurez une notification de prélèvement complémentaire en fin d'année également, ce sera toujours ça de gagné.
Luchonnais à votre bon cœur, car ce n'est pas fini : en voici la raison
Cette augmentation est limitée car la Chambre Régionale des Comptes admet pour 2023 un prélèvement exceptionnel de 572 000 € sur le budget annexe "eau". Mais pour le budget principal 2024 on ne pourra prélever à nouveau cette somme sur le budget annexe "eau" parce qu'il n'y restera pas grand-chose. Mis à part une recette miraculeuse, il faudra bien augmenter les impôts 2024 car la charge de 800 000 € décrite plus haut sera toujours d'actualité.
Mais le meilleur, qui reste à venir, c'est le budget principal 2025. Pas de chance, c'est le dernier avant les prochaines élections municipales et il ne va pas plaider en faveur de la municipalité sortante.
En effet, la CRCO, dans ses attendus, estime "que toutefois il importe qu'à l'avenir, la capacité de financement des investissements du service public de l'eau soit reconstituée à hauteur du reversement exécuté au budget 2023". En conséquence la CRCO dit "que le budget principal devra rembourser au budget annexe 'eau', au plus tard au courant de l'exercice 2025, le versement de la partie du résultat excédentaire de ce budget annexe au budget principal".
C'est donc avec les charges courantes de la masse salariale des employés communaux, la Bataille des Fleurs (dénomination historique pour un luchonnais), le Festival du Film TV, toutes les manifestations d'animations déficitaires, ainsi que la possible venue du roi des Belges ou d'Espagne (car leurs ancêtres venaient aussi à Luchon), etc..., que le budget principal devra assumer les surplus des 800 000 € + 572 000 € (à rembourser au budget annexe "eau" sans y pomper à nouveau).
Si j'en crois le programme électoral et les déclarations de l'actuel maire, tout cela se fera sans augmentation de la fiscalité locale : promis, juré !