Luchon : pourquoi Cathy Peyge et Gérard Subercaze, élus d'opposition, sont contre la privatisation de l'EHPAD "Era Caso"
Le dernier conseil municipal de lundi (22 avril) était consacré au "protocole d'accord portant cession de l'autorisation de l'EHPAD Era Caso vers l'association EDENIS et portant aménagement de la phase de préfiguration".
Lors de mon entretien avec Eric Azémar, maire de luchon, ce dernier avait indiqué que l'Agence Régionale de Santé (ARS) avait "décidé de retirer l’autorisation d’exploiter l’EHPAD à la commune" et "demandé à l’association EDENIS, qui gère déjà une vingtaine d’EHPAD en Haute-Garonne, de conduire la gestion de l’établissement" luchonnais (lire ici).
Le maire rappelant dans cet entretien qu'en août 2023, par "manque crucial de personnel soignant" l’ARS et le Conseil départemental de la Haute-Garonne avait décidé de placer Era Caso sous administration provisoire".
Lundi, au cours du conseil municipal, Cathy Peyge, élue de l'opposition, a indiqué les raisons pour lesquelles elle votait contre cette future "privatisation" de la maison de retraite de Luchon (lire ci-après).
De son côté, Gérard Subercaze, autre élu de l'opposition municipale, absent lundi, avait donné procuration à Catherine Peyge, pour voter également contre ce projet. Dans un courrier adressé au maire de Luchon ainsi qu'aux élus, il avait tenu à préciser sa position sur "Era Caso" et souhaité la mise en place d'une commission spécifique sur "Era Caso", tout en proposant que "Cathy Peyge soit la titulaire de cette commission, avec lui-même en tant que suppléant".
Toujours dans ce courrier, Gérard Subercaze a insisté sur l'importance d'avoir un avocat spécialisé pour accompagner cette commission... tout en estimant qu'il n'était pas raisonnable de se prononcer sur ce protocole sans l'avis préalable d'un tel avocat. Il a également souligné "la nécessité de définir un calendrier afin de permettre aux élus de prendre des décisions éclairées..."
Voici dans sa intégralité, l'intervention de Cathy Peyge, lors du conseil municipal de lundi dernier :
"Malheureusement, nous y sommes !
Après avoir tenté, depuis plus d’un an, de cacher ou de minimiser les dégâts de votre gestion de l’établissement créé à l’initiative de Jean Peyrafitte, vous nous réunissez aujourd’hui pour nous expliquer que la cession de l’EHPAD Era Caso est inévitable, qu’elle est enjointe par les autorités de tutelle et que nous ne pouvons en aucun cas nous y soustraire, sauf à vouloir fermer purement et simplement l’établissement.
Excusez-moi, mais devant ce chantage honteux, je veux dire ce soir ma tristesse et mon indignation.
Jour après jour, en effet, se confirme que vous avez délibérément laissé se dégrader la situation à ERA CASO. Une nouvelle fois, un pan du service public local est transféré en gestion privée, et pour le cas présent, il est purement et simplement vendu corps et biens à une structure privée, un groupe qui gère plus de 20 établissements, dans une procédure qui s’affranchit des contraintes de la commande publique.
Pour justifier votre immobilisme, vous tirez argument des dispositions du Code de l’action sociale et des familles selon lesquelles une commune ne peut pas gérer directement un EHPAD. Vous aviez pourtant décidé de rattacher la gestion de l’EHPAD Era Caso et celle du Centre communal d’action sociale (CCAS). Vous aviez pour cela fait réaliser une étude de faisabilité en ce sens en mai 2023 par le Centre de gestion 31, à la suite de l’inspection surprise du 8 février 2023 par l’ARS. Mais cette orientation est restée lettre morte !
A la suite de l’inspection de l’ARS du 8 février 2023, votre adjointe, Madame CAZES, répondait lors de la séance du 13 février 2023 du Conseil municipal aux questions de mon collègue Louis FERRE. Elle minimisait cette inspection et déclarait que l’ARS allait produire quelques injonctions et souligner quelques dysfonctionnements. Elle assurait que son rapport allait être communiqué dans les deux mois au Conseil municipal.
Or ce rapport n’a jamais été communiqué au Conseil. Le Maire me l’a transmis tout récemment alors que je lui demandais les conclusions de l’administrateur provisoire.
Notons que ce rapport sur l’inspection du 8 février 2023 vous a été notifié en janvier 2024, mais que vous ne l’avez pas transmis au Conseil, ni le 15 janvier, ni le 12 février, ni le 20 mars 2024. Soulignons aussi que vous n’avez pas jugé utile d’adresser aux tutelles vos observations en réponse dans le mois qui lui était imparti pour cela.
Cette inspection date déjà d’un an, et les conclusions de l’administrateur provisoire, à l’issue de sa mission de 6 mois motivée par un signalement du 30 juillet 2023, restent pour l’instant résumées par des formules telles que 'graves dysfonctionnements', 'problèmes de gouvernance manifestes et d’organisation des services nuisant à la qualité des prises en charge et des soins' ou encore 'difficultés de la structure conséquentes et multiformes'. Alors que la commune est enjointe de céder cet établissement, le moins que l’on puisse attendre, en qualité de conseillers municipaux, est de connaître des faits précis et concrets, ainsi que les responsabilités, de nature à motiver notre décision et les suites à donner.
Monsieur le Maire, vous osez déclarer, tout récemment, à 'La Dépêche du Midi', que cette situation provient de 20 ans d’inaction. Franchement, en attribuant aux autres vos propres turpitudes, vous ne manquez pas d’air ! Croyez-vous que ERA CASO aurait traversé les différentes vagues de COVID 19 sans qu’aucun décès ne soit imputé à cette pandémie si la situation avait été alors aussi catastrophique, si sa gestion avait été alors en déshérence ? Je me permets de rappeler qu’en 2020, un EHPAD sur cinq a connu un "épisode critique" au cours duquel au moins 10 résidents ou 10% de l’ensemble des résidents sont décédés des suite de la pandémie, soit au total 29.300 décès sur un total de 7.547 établissements.
Mes chers collègues, avant la maladie, puis le départ en retraite de Mme Lazorthes, sa directrice pendant près de 16 ans, cet établissement ne faisait pas l’objet d’injonctions, de prescriptions ou de mise sous tutelle.
Mais depuis 18 mois, quelle dégringolade !
Je voudrais aussi souligner, comme nous sommes contraints de le faire depuis le début de ce mandat, que cette cession s’inscrit dans la liste déjà longue des privatisations de services publics que vous avez initiées :
* Privatisation de la gestion des thermes, décidée au mandat précédent;
* Fermeture de la laverie des thermes, relayée par un recours au privé ;
* Privatisation du bus thermal remplacé par un service payant (pour lequel, au demeurant, un emploi de conducteur figure toujours au tableau des effectifs de la Ville) ;
* Privatisation du déneigement auparavant effectué par les employés communaux ;
* Refus d’étudier la possibilité d’une régie publique de l’eau et de l’assainissement.
Aujourd’hui, vous nous expliquez que vous êtes obligé de céder "ERA CASO", et que la responsabilité en incombe aux autorités de tutelle. Si celles-ci soulignent l’incapacité de la commune, c’est en fait votre inaction depuis 3 ans, votre absence de gestion des ressources humaines, juridiques et financières qui sont mises en évidence. Autrement dit, pour rendre inévitable la privatisation, vous avez délibérément laissé la situation se dégrader, en espérant que cela suffise à convaincre personnels et usagers. C’est bien votre responsabilité.
Par deux fois, les représentants du personnel au Comité social territorial ont émis un avis défavorable à votre projet, et je les comprends. Les agents de l’EHPAD ont en effet toutes les raisons d’être inquiets, pour leur statut, pour leur avenir, pour leur retraite, pour leurs conditions de travail. Ils sont inquiets parce qu’ils redoutent les conséquences pour la qualité du service aux résidents.
Plus les mois passent, plus vous confirmez en actes votre engagement politique, votre dogmatisme contre les services publics. Alors que votre prédécesseur René Rettig avait municipalisé la gestion de ce qui était encore un foyer-logement, vous voulez accréditer l’idée que la commune n’a pas les compétences pour gérer un budget, du personnel, des investissements. En bref, les fonctionnaires sont des incapables, et il faudrait confier toute gestion à des gens compétents, donc, selon vous, au privé ! Où orienterez-vous demain votre acharnement en faveur de la gestion privée ? Au CCAS ? Au Centre équestre ? Aux parcs et jardins ?
Excusez-moi, mais je crois toujours, comme Jean Jaurès en son temps, que les services publics sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Autrement dit, qu’ils sont la seule forme juridique qui garantit l’égalité d’accès aux droits, donc aussi aux plus démunis. C’est pourquoi je suis convaincue que les élus que nous sommes avons la responsabilité de préserver et de développer les services publics.
C’est pour cela que je voterai contre votre projet.
Je ne m’associerai pas au chantage : le protocole ou la fermeture de l’EHPAD. J’ai bien conscience qu’il en va de l’accueil et de la qualité des soins des pensionnaires. Mais la situation des usagers dépend de l’incapacité, de la légèreté de la gestion depuis trois ans. Si la situation est autant dégradée aujourd’hui, c’est à vous Monsieur le Maire, d’assumer vos responsabilités.
Enfin, s’agissant d’EDENIS, sachez que je ne suis pas émue par le fait qu’il relève du secteur associatif. Pour gérer plus de 20 établissements, et alors qu’il vient de racheter l’EHPAD de Saint-Martory et s’apprête à ouvrir un nouveau site dans le quartier de la Cartoucherie, pour afficher en 2016 un bilan de 128 millions d’euros à l’actif et au passif et pour avoir réalisé cette même année 2016 un chiffre d’affaires de 73 millions d’euros, je ne confondrais pas ce groupe avec un club de bénévoles. Je m’inquiète plutôt des évolutions du prix de journée à attendre dans les prochaines années.
Je ne doute pas qu’EDENIS dispose de compétences avérées en matière de gestion d’EHPAD, et qu’il est de nature à redresser la situation au bénéfice des usagers et des personnels. Je m’étonne juste de la rapidité du raisonnement exposé par l’ARS et par le Conseil départemental pour aboutir à pressentir ce repreneur plutôt qu’un autre, public ou privé. Je m’étonne aussi, pour tout dire, du peu qui nous en est communiqué en la matière."