Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
06 Jul

La Dépêche du Midi condamnée en appel pour travail dissimulé et co-emploi d'une journaliste sous statut "low-cost"

Publié par Paul Tian  - Catégories :  #justice, #condamnation, #média, #La Dépêche du Midi, #DDM, #Famille Baylet, #Jean-Michel Baylet, #dumping social, #travail dissimulé, #Claire Raynaud, #SNJ, #Dépêche News, #social, #low-cost

La Dépêche du Midi condamnée en appel pour travail dissimulé et co-emploi d'une journaliste sous statut "low-cost"

Le groupe "La Dépêche du Midi" vient d'être condamné en appel pour travail dissimulé et co-emploi dans une affaire concernant l'embauche d'une journaliste sous un statut low cost au sein de son agence de presse, "La Dépêche News". Claire Raynaud, la journaliste en question, a remporté son procès, ouvrant potentiellement la voie à d'autres poursuites judiciaires similaires.

 

Claire Raynaud, qui était journaliste pour "La Dépêche du Midi" de novembre 2015 à août 2019, a démissionné de son poste et a porté plainte contre le groupe. La condamnation en appel concerne l'emploi de la journaliste sous un statut low cost au sein de l'agence de presse "La Dépêche News", avec des réductions significatives de son salaire et de ses avantages sociaux. Bien qu'elle travaillait sur le même type de missions que d'autres journalistes du quotidien régional, ses conditions étaient nettement moins favorables. Claire Raynaud a remporté son procès, et d'autres pourraient la suivre, car elle n'est pas la seule concernée par cette affaire, rapporte "France 3 Occitanie".

 

Claire Raynaud a déclaré sur son compte LinkedIn :

 

"J'ai décidé de devenir journaliste à l'âge de 11 ans. 40 ans plus tard, en 2019, j'ai renoncé à ce métier passionnant à cause d'un employeur indélicat qui a eu l'outrecuidance d'inventer un système de dumping social qui m'a broyée, et à cause duquel j'ai vu de jeunes journalistes talentueux et prometteurs que j'encadrais se faner et s'éteindre en quelques mois".

 

Ces circonstances ont incité cette journaliste chevronnée à porter plainte il y a quatre ans, estimant avoir été exploitée.

 

Elle explique :

 

"J'ai été engagée par une structure qui s'appelait Dépêche News. Je relevais de la convention des journalistes, mais mon salaire était inférieur de 30%. J'avais cinq semaines de vacances en moins, soit un tiers de congés en moins, et je n'avais pas droit aux primes dont bénéficiaient les employés de La Dépêche. J'ai signé mon contrat une semaine après avoir commencé. Je n'avais pas le choix de quitter ce travail à ce moment-là. Et ils m'ont dit : non, non, c'est juste pour la période d'essai en CDD. Tu repasseras ensuite à un contrat Dépêche. Mais en réalité, cela ne s'est pas produit du tout".

 

Claire Raynaud explique qu'elle a été la première à inaugurer ce système de recrutement low cost. Les journalistes embauchés après elle auraient tous été contraints de signer des contrats avec "Dépêche News".

 

"Lorsqu'ils remplaçaient un journaliste de La Dépêche, ils le remplaçaient par un journaliste de Dépêche News. Ainsi, ils économisaient 30% de salaire, ainsi que tous les avantages sociaux, les RTT et les primes... C'était une économie énorme. Mais tous les journalistes travaillaient sous les ordres du rédacteur en chef de La Dépêche du Midi, dans les mêmes locaux."

 

"Ils m'ont attribué le titre de rédactrice de troisième échelon pour un poste de rédactrice en chef. Ainsi, même les intitulés de poste ne correspondaient pas à la réalité... De plus, j'étais en contrat de 35 heures par semaine, tandis que les journalistes de La Dépêche étaient en contrat de 39 heures. Et nous ne pouvions pas récupérer nos heures."

 

Nous travaillions 50 ou 60 heures par semaine, sans récupération, sans paiement des heures supplémentaires, rien !

 

"En somme, cela leur a permis de réaliser d'importantes économies, avec peu de risques, car La Dépêche est pratiquement en situation de monopole pour l'emploi des journalistes dans la région. Une fois que vous avez signé ces contrats-là, il est très difficile de changer de travail, car il n'y a pas beaucoup d'opportunités pour les journalistes à Toulouse."

 

Claire Raynaud encadrait de jeunes journalistes. Elle vivait très mal ce système, estimant que tous, y compris elle-même, étaient "traités comme de la chair à canon". Elle a décidé de quitter son poste en août 2019.

 

Lors du procès aux Prud'hommes, on lui a dit qu'elle était une "petite journaliste" qui écrivait de "petits articles" pour le site web, une subalterne dont le travail consistait simplement à copier-coller des informations trouvées sur Google., précise "France 3 Occitanie".

 

La journaliste a obtenu gain de cause aux Prud'hommes concernant les heures supplémentaires, mais avec le soutien du SNJ (Syndicat national des journalistes), elle a cherché à obtenir la condamnation de son employeur pour travail dissimulé, "c'est-à-dire le fait que nous avions un contrat avec Dépêche News, mais que notre employeur était bel et bien La Dépêche du Midi".

 

La décision du tribunal est tombée :

 

"La Dépêche du Midi" a été condamnée pour co-emploi et travail dissimulé. L'arrêt de la cour d'appel de Toulouse indique qu'il existe "un lien de subordination non seulement avec la société Dépêche News, ce qui ne fait aucun doute, mais également avec la société Groupe La Dépêche du Midi". Les deux structures étaient donc considérées comme co-employeurs de Claire Raynaud. De plus, la cour d'appel a reconnu le travail dissimulé, en affirmant que "la cour reconnaît un nombre important d'heures supplémentaires, réalisées sur plusieurs années, alors que la salariée avait expressément alerté son employeur à la fois sur sa charge de travail et ses horaires, sans que cela n'entraîne aucune réaction de la part de l'employeur".

 

L'avocate de Claire Raynaud, Pauline Le Bourgeois, se félicite que le véritable employeur ait été tenu responsable de ses actes. "L'enjeu est l'application d'un statut collectif qui a délibérément été contourné par La Dépêche du Midi", explique-t-elle. "Il y a eu détournement du statut collectif, créant une différence de traitement entre des employés effectuant le même travail, mais soumis à des règles différentes."

 

"Nous avons également obtenu des dommages et intérêts pour le syndicat, car la cour a considéré que le non-respect du statut collectif (qui a la même force de loi que le Code du travail ou le contrat de travail) porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession. Nous avons obtenu 1 000 €. Ce n'est pas beaucoup, mais cela reconnaît le préjudice spécifique résultant de la violation du statut collectif. Cela concerne non seulement Claire Raynaud, mais tous les employés confrontés à cette situation."

 

Le SNJ (Syndicat national des journalistes) s'est mobilisé aux côtés de Claire Raynaud. Ne pouvant pas faire entendre son désaccord à La Dépêche, il a mené une enquête et soutient tous les journalistes qui entament des procédures similaires.

 

Olivier Cimpello, élu au CSE de "La Dépêche du Midi", parle de "dumping social", dans le but de réaliser des économies sur la masse salariale. "Nous avons des journalistes qui stagnent, certains en contrat à durée déterminée sont rémunérés seulement 40 € de plus que le SMIC, n'ont pratiquement aucune évolution de carrière et se retrouvent, au bout de 3 ou 4 ans, avec des salaires très bas."

 

"Nous ne voulons pas de deux systèmes au sein de la même rédaction, avec l'un offrant des conditions moins favorables", ajoute Patrick Guerrier, également élu SNJ au CSE de "La Dépêche".

 

Tous deux ont été témoins de la mise en place de ce dispositif "Dépêche News" et l'ont combattu dès son apparition. Ils confirment le témoignage de Claire Raynaud et vont encore plus loin, précise "France 3 Occitanie".

 

"Au-delà du cas de 'La Dépêche du Midi', le combat est aussi pour nous d'éviter que d'autres groupes suivent cet exemple, affirme Patrick Guerrier. On est journalistes rattachés à un titre, c'est un statut qui existe. Une agence de presse est productrice de contenus vis-à-vis de titres extérieurs. C'est totalement différent".

Au-delà du cas de La Dépêche du Midi, le combat est aussi pour nous d'éviter que d'autres groupes suivent cet exemple... On est journalistes rattachés à un titre, c'est un statut qui existe. Une agence de presse est productrice de contenus vis-à-vis de titres extérieurs. C'est totalement différent.

Patrick Guerrier, élu SNJ au CSE de La Dépêche

Communiqué de presse SNJ Midi-Pyrénées

"Oui, il existe bien un lien de subordination entre la journaliste de Dépêche News et La Dépêche du Midi ! C’est ce qu’a constaté la cour d’appel de Toulouse dans son arrêt du vendredi 30 juin 2023 dans l’affaire Claire Raynaud vs DDM-DNews.

 

Bien que statutairement sous contrat de travail exclusif de l’agence de presse interne Dépêche News, la journaliste travaillait au profit et sous les ordres de la hiérarchie DDM. La cour d’appel conclue que ce lien de subordination est constitutif d’une situation de co-emploi. A ce titre, les accords des journalistes de La Dépêche du Midi (entre autres, l’accord RTT) auraient dû s’appliquer à Claire Raynaud. Ils ne l’ont pas été. Cela justifie pour les juges un dédommagement en salaire. La cour d’appel a également validé les heures supplémentaires effectuées par Claire Raynaud, salariée de novembre 2015 à août 2019. Et, dans la foulée, condamne conjointement La Dépêche du Midi et Dépêche News à lui verser une indemnité pour travail dissimulé.

 

La condamnation conjointe de La Dépêche du Midi et Dépêche News est lourde. Au total, ce sont près de 100 000 euros qui devront être versés à Claire Raynaud : au titre de rappel de salaires et congés payés afférents, au titre des RTT, au titre d’une indemnité pour travail dissimulé et au titre de l’article 700 (frais de procédure). Sans oublier 1000 euros de dommages et intérêts pour le SNJ. Le SNJ qui était intervenant volontaire aux côtés de Claire Raynaud et se réjouit de ce jugement.

 

L’opération de dumping social engagée par la direction depuis 8 ans à travers le remplacement des journalistes de La Dépêche du Midi par des journalistes de l’agence de presse interne Dépêche News, à des conditions sociales et salariales moins avantageuses, se heurte ici à un premier écueil judiciaire.
Ce n’est sans doute qu’un début. Une autre procédure prud’homale d’une autre salariée de Dépêche News est en cours, tandis que l’inspection du travail vient de solliciter par courrier des journalistes de Dépêche News, leur indiquant qu’après un an d’enquête sur le sujet, ces pratiques relèvent, selon elle, du délit de marchandage.  


 

Le SNJ, au nom du principe à travail égal salaire égal, dénonce depuis le début ce statut dévalorisé des journalistes de Dépêche News sans parvenir à se faire entendre de la direction. Aussi, le SNJ indique une nouvelle fois qu’il se portera aux côtés de tout journaliste de Dépêche News qui souhaiterait faire valoir ses droits en justice, aux prud’hommes comme au pénal.  
     

 

Même si la direction a la possibilité de se pourvoir en cassation dans l’affaire Raynaud (au risque de donner un caractère jurisprudentiel à ce jugement), l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse, ce 30 juin, est bien une première victoire pour tous les journalistes de Dépêche News.
 

Une victoire qui pourrait en appeler d’autres."

La Dépêche du Midi condamnée en appel pour travail dissimulé et co-emploi d'une journaliste sous statut "low-cost"
Commenter cet article

Archives

À propos

"Aucune carte du monde n'est digne d'un regard si le pays de l'utopie n'y figure pas" (Oscar Wilde)