"Une belle grève de femmes" d'Anne Crignon. Solidarité et résistance : le récit captivant de la grève triomphante des sardinières de Douarnenez
L'hiver 1924 a marqué un tournant dans l'histoire des ouvrières des conserveries de sardines de Douarnenez, dans le Finistère, en Bretagne. Pendant plus de six semaines, ces deux mille femmes ont bravé le froid et les difficultés pour réclamer une augmentation de salaire.
La journaliste Anne Crignon retrace cette lutte ouvrière dans un récit captivant, mettant en lumière leur combat pour des conditions de travail décentes. En relatant cette épopée sociale oubliée, elle souligne son importance féministe et son impact durable sur les luttes sociales contemporaines.
Des conditions de travail difficiles
Dans son récit, Anne Crignon dépeint les conditions de travail éprouvantes auxquelles étaient confrontées les ouvrières des conserveries de sardines. La loi de 1919, qui fixait une journée d'usine de huit heures, n'était pas respectée, de même que la limite de soixante-douze heures de travail par semaine. Les heures d'attente n'étaient pas rémunérées et les heures de nuit étaient payées au même tarif que les heures de jour, soit quatre-vingt centimes de l'heure. Les enfants, légalement tenus d'attendre l'âge de douze ans pour travailler, étaient contraints de contribuer dès l'âge de huit ans pour subvenir aux besoins de leur famille. Anne Crignon expose la dure réalité des différents postes occupés par ces femmes.
L'émergence d'une grève victorieuse
Les chants collectifs, parfois entonnés par des centaines de femmes, étaient un moyen pour elles d'exprimer leur ressentiment et leur frustration. L'idée de tout arrêter, de faire grève jusqu'à ce qu'elles obtiennent une augmentation de vingt sous par heure, a fini par se répandre parmi les sardinières.
Le 21 novembre, la grève a éclaté, se propageant rapidement, tout comme celle de 1905, lorsque les mères et les grands-mères des ouvrières actuelles avaient réussi à obtenir une rémunération à l'heure plutôt qu'au rendement.
Le maire de Douarnenez, Daniel Le Flanchec, le premier maire communiste de France, a apporté son soutien aux grévistes en accueillant les réunions quotidiennes du comité de grève dans la salle du conseil municipal.
Des figures telles que Charles Tillon, futur cofondateur des FTP (Francs-tireurs et partisans), et Lucie Colliard, responsable du travail des femmes au syndicat, sont également venus soutenir les grévistes. Malgré des semaines d'obstination de la part des employeurs qui refusaient toute négociation ou conciliation, le ministre du Travail, Justin Godart, a finalement été amené à entendre les deux parties séparément. Face à l'intransigeance des patrons, le ministre a lâché cette phrase révélatrice : "Vos patrons sont des brutes et des sauvages".
Une lutte médiatisée et des soutiens financiers
La médiatisation du conflit a permis de collecter des soutiens financiers dans tout le pays. Une dizaine d'hommes, distribuant la feuille de propagande patronale intitulée "L'Aurore syndicale", ont tenté de soudoyer les grévistes pour qu'elles reprennent le travail. Cependant, le 31 décembre, une altercation a éclaté, et des coups de feu ont été tirés, blessant gravement le maire Le Flanchec et son neveu.
Après des semaines de manifestations pacifiques, la colère a éclaté. Les commanditaires de l'agression ont été clairement identifiés et, confrontés à leur responsabilité, ils ont finalement accepté l'ouverture de négociations pour mettre fin à l'affaire. Rapidement, toutes les revendications ont été satisfaites, revendications qui consistaient principalement à faire respecter les lois sociales existantes. Malgré les preuves accablantes, l'enquête contre les mercenaires engagés par les employeurs a abouti à un non-lieu.
Un récit nourri d'anecdotes et de témoignages
Pour donner vie à son récit, Anne Crignon s'est appuyée sur de nombreux ouvrages évoquant ce mouvement social. Elle a rapporté de nombreuses anecdotes, telles que la visite de Zola en Finistère à la recherche d'un décor pour un tome des "Rougon-Macquart", avant de se décider pour les terrils du Nord et d'écrire "Germinal". Elle a également donné des noms et des visages à ces femmes anonymes, en fouillant dans les archives et la presse de l'époque.
Un héritage féministe et une inspiration pour les luttes contemporaines : Anne Crignon met en évidence comment les expériences sociales peuvent être le terreau de toute culture politique. En racontant cet épisode méconnu de l'histoire sociale, elle souligne son caractère profondément féministe et sa contribution aux luttes sociales contemporaines. L'importance de cette lutte ne s'est pas estompée avec le temps, comme en témoigne la reprise et l'actualisation de la chanson "Penn Sardin" pendant le mouvement des Gilets jaunes.
L'histoire des sardinières de Douarnenez en cet hiver 1924 représente une lutte ouvrière marquante et victorieuse. Grâce aux efforts de ces deux mille femmes, les conditions de travail précaires ont été mises en lumière et des améliorations ont été obtenues. Anne Crignon a réussi à rendre hommage à ces ouvrières en donnant une voix à celles qui étaient restées anonymes. Son récit rappelle l'importance de ces luttes passées dans la formation d'une conscience politique et féministe. Il nous invite également à nous inspirer de ces combats pour poursuivre les luttes sociales et la quête d'une société plus juste.
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- Anne Crignon : Une belle grève de femmes, Les Penn Sardin, Douarnenez 1924. Editions Libertalia. Prix : 10,00 euros. Format numérique (Epub) : 6,99 euros.