Mes lectures : "De guerre en guerre" d'Edgar Morin, les réflexions d'un sage de 102 ans
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Depuis un an et demi, l'agression de la Russie contre l'Ukraine secoue le monde entier, et parmi ceux qui ont été profondément touchés par ces événements, se trouve le célèbre sociologue et philosophe Edgar Morin. À l'âge vénérable de 102 ans, il s'est lancé dans une méditation profonde sur la nature de la guerre et les crimes qui en découlent, nourrie par ses expériences personnelles tout au long de sa longue et fascinante traversée à travers les méandres de notre époque tumultueuse.
Né Edgar Nahoum en 1921, au sein d'une famille juive aux racines italiennes à Salonique, il est désormais connu sous le pseudonyme de Morin, qu'il a adopté lors de son engagement dans la Résistance en 1943.
Dès sa naissance, la guerre était omniprésente, mais pas la guerre à laquelle on pense généralement à cette époque. Il s'agissait de la Première Guerre mondiale, celle de 14-18. Bien sûr, il n'a pas pris part à cette guerre en tant que bébé, mais les cicatrices de ce conflit étaient encore visibles. Les ruines du pays, les visages meurtris des "gueules cassées" dans les rues, et même les plus fervents patriotes commençaient à témoigner des horreurs qu'ils avaient vécues. C'est dans ce contexte qu'Edgar, lecteur avide depuis sa jeunesse, a découvert une littérature patriotique souvent teintée d'anti-germanisme. Parallèlement, il se plongeait dans les œuvres de grands écrivains qui allaient façonner sa jeunesse, tels qu'Anatole France, humaniste et pacifiste, ou encore André Gide et André Malraux, dont les écrits sur la guerre civile espagnole ont profondément marqué le jeune Nahoum.
La première guerre à laquelle Nahoum, devenu Morin, a activement participé fut la Seconde Guerre mondiale. Dès 1942, il s'est engagé dans la résistance communiste, puis dans un mouvement gaulliste. Par la suite, il a rejoint la première armée française sous le commandement du général de Lattre de Tassigny. En tant qu'officier, il a été conduit en Allemagne, où il a été témoin des horreurs de la guerre et des crimes de guerre qui en découlaient, qu'il s'agisse de destructions massives de villes ou de massacres de civils. Ces atrocités ont touché des deux côtés du conflit.
En 1945, il s'est rendu à Pforzheim, Dresde, Berlin, toutes ces villes ayant été ravagées par les bombardements alliés, dans un pays revenu à ce qu'il a appelé son "année zéro". Cette expérience a servi de point de départ à son premier livre, "L'An zéro de l'Allemagne", publié en 1946.
Cette expérience marquante a conduit à la rédaction de son essai "De guerre en guerre", une réflexion qui s'étend jusqu'à la guerre en Ukraine aujourd'hui. Bien qu'Edgar Morin ait publiquement condamné l'agression russe contre l'Ukraine et dénoncé la dictature poutinienne, son livre a suscité quelques controverses. En tant que fervent partisan de la paix, il critique tous les crimes de guerre, y compris ceux commis par les États-Unis, évoquant notamment les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, ainsi que leurs agressions et mensonges dans les guerres en Irak.
Il reconnaît également s'être trompé à certaines occasions, parfois volontairement, comme pendant ses années communistes, où il a occulté les massacres de Staline en faveur de l'unité antifasciste. (Il a adhéré au Parti communiste français avant de s'en éloigner en 1949 et d'en être exclu en 1951).
En parcourant les pages de son essai, il évoque également la guerre d'Algérie, la guerre en ex-Yougoslavie et comment celles-ci ont préfiguré les conflits qui secouent actuellement l'ex-URSS.
La pensée d'Edgar Morin est lucide, son analyse percutante, bien que certaines de ses affirmations puissent susciter le débat. Il exprime un pessimisme profond quant à l'avenir, redoutant que la défaite de Poutine ne mette pas fin à la guerre, mais ne fasse qu'aggraver la situation, craignant même que le conflit ukrainien ne dégénère en une nouvelle guerre mondiale. Pour lui, la prévention de cette catastrophe est impérative.
A 102 ans, Edgar Morin reste un érudit inlassable, un passionné de l'actualité, un geek toujours connecté à son ordinateur et à son iPhone, un lecteur compulsif, un esprit curieux de tout et un graphomane.
Depuis la publication de "De guerre en guerre", il a sorti un autre livre, "Encore un moment", une anthologie de textes personnels, politiques, sociologiques, philosophiques et littéraires, qui témoignent de sa longévité. Edgar Morin partage sa recette de vie, qui inclut un régime méditerranéen, un verre de Médoc par jour et une absence de pratique sportive.
Sereinement, il envisage l'approche de la fin de sa vie, avec un seul regret : "Je vais partir en plein suspense historique."
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- Livre acheté chez mon ami Dominique Jeay, à la Librairie Calligram' de Mazamet
Illustration : Edgar Morin sur le tournage de "Edgar Morin, Chronique d'un regard" / Photo : Lisaetwikipedia CC BY-SA 4.0}
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